Vous êtes un entrepreneur ou maitre de l’ouvrage actuellement en procédure d’expertise judicaire et vous n’êtes pas satisfait des prestations de l’expert mandaté par le tribunal ? Vous souhaitez changer d’expert en cours de procédure et vous vous demandez si cela est envisageable ? Cet article vous propose un résumé des règles élémentaires régissant cette matière.
Le remplacement d’un expert judicaire et les différences avec la récusation
1. – Le remplacement d’un expert peut intervenir lorsque celui-ci n’est pas ou plus en mesure d’effectuer correctement sa mission[1]. Certains auteurs ont proposé une liste non exhaustive de motifs : refus d’accomplir la mission, absence injustifiée, incompétence manifeste, non-respect des règles d’expertise ou des consignes données par le magistrat ou encore non-respect des délais[2].
La procédure est régie principalement par les articles 973, § 2 et 979, §1 du Code judiciaire :
- « Toutes les contestations relatives à l’expertise survenant au cours de celle-ci, entre les parties ou entre les parties et les experts, y compris la demande de remplacement des experts et toute contestation relative à l’extension ou à la prolongation de la mission, sont réglées par le juge» ;
- « Si les parties en font conjointement la demande de manière motivée, le juge doit remplacer l’expert. Cette demande est adressée par lettre missive au juge, lequel statue dans les huit jours sans convocation ou comparution de parties. A cet égard, le juge peut désigner les experts sur lesquels les parties marquent leur accord. Il ne peut déroger au choix des parties que de manière motivée. La décision prise par le juge est notifiée conformément à l’article 973, § 2, alinéa 6.
Si aucune des parties n’en fait la demande, le juge peut ordonner d’office la convocation visée à l’article 973, § 2.
Le juge motive sa décision de remplacement et procède immédiatement à la désignation d’un nouvel expert. (…).»
2. – Il est capital de distinguer la procédure de remplacement de celle de récusation d’un expert, qui permet, sur base de l’article 966 du Code judiciaire, de demander la nomination d’un nouvel expert dans certains cas limitativement cités tels que la suspicion légitime d’une partie, la parenté de l’expert avec l’une des parties, une inimitié capitale ou un conflit d’intérêts.
Contrairement à la demande de remplacement, la demande de récusation doit être soulevée le plus rapidement possible. En effet, l’article 969 du Code judicaire dispose que « aucune récusation ne peut être proposée après la réunion d’installation, ou, à défaut, après le début des travaux de l’expert, à moins que la cause de la récusation n’ait été révélée ultérieurement à la partie ».
La demande de remplacement d’un expert, une opération à hauts risques
3. – Pour obtenir le remplacement de l’expert judiciaire sur pied de l’article 979 du Code judiciaire, une partie doit essentiellement démontrer qu’il « ne remplit pas correctement sa mission ». Le juge apprécie souverainement si la faute est suffisamment établie et si elle revêt un caractère de gravité de nature à justifier le remplacement.[3]
Une procédure de remplacement d’expert, au demeurant assezrisquée, nécessite dès lors de démontrer un réel manquement dans son chef; en effet,il est admis en jurisprudence que :
- « Une bonne administration de la justice commande, après expertise, un débat sur le fond pour éviter qu’une partie sollicite le remplacement de l’expert désigné dès que les conclusions de l’expert lui sont défavorables »[4] (Je souligne) ;
- « Il ne peut être fait droit à la demande de remplacement de l’expert désigné par le juge si un manque de diligence et d’objectivité n’est pas démontré dans son chef »[5] (Je souligne) ;
En outre, le tribunal peut être tenté de débouter la partie qui souhaite changer d’expert dans un objectif d’économie de procédure car « il ne faut pas perdre de vue que la mission de l’expert débouche sur un simple avis livré à l’appréciation du magistrat »[6]. A titre d’exemple, citons un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers rappelant que : « l’exigence d’impartialité de l’expert ne peut pas être assimilée à l’exigence d’impartialité et d’indépendance du juge, étant donné que l’expert se contente de donner, avant le débat, un avis qui peut tout à fait être contesté par le juge, tandis que le juge prend, après le débat, une décision sur l’affaire. »[7] (Je souligne).
4. – Même s’il est ardu de faire remplacer un expert judiciaire, une telle procédure n’est toutefois pas vaine, comme la Cour d’appel de Bruxelles l’a rappelé dans son arrêt du 28 juillet 2023.
Cet arrêt concerne un dossier en droit de l’informatique opposant un prestataire à son client, qui considérait que le logiciel fourni ne répondait pas à ses attentes, contestait les factures et réclamait la résolution du contrat d’entreprise.
Dans le cadre d’une expertise judiciaire visant à analyser ce logiciel, l’expert exprime des propos très durs vis-à-vis d’une partie dès la première réunion entre parties : « Vous vous rendez compte que, sur base du constat que je viens de vous communiquer, si je dois procéder à la rédaction de mon rapport, je pense que cela ne va pas nécessairement être très favorable à la thèse de la société X. Je pense malheureusement que la société X a très largement foiré sur ce projet, (…) Donc voilà mon diagnostic, ce qui signifie que, si on veut continuer dans la voie de la rédaction d’un avis provisoire, je crois que ça va grever considérablement les frais d’expertise (…). » (Je souligne).
Dans le cadre de son arrêt, la Cour rappelle que l’article 976, al. 1 du Code judiciaire dispose que : « À la fin de ses travaux, l’expert envoie pour lecture au juge, aux parties et à leurs conseils, ses constatations, auxquelles il joint déjà un avis provisoire. (…) » [8] (Je souligne).
Après avoir rappelé ces principes et pris connaissance de l’enregistrement vidéo de la totalité de la première réunion, la Cour reconnaitra que le moment choisi par l’Expert pour émettre un avis était tout à fait inopportun et ne constituait pas une application correcte des règles de l’expertise telles que définies dans le Code judiciaire. En conséquence, elle décida de le remplacer.
Il s’agit d’un exemple concret mais, d’une procédure à l’autre, les faits permettant d’aboutir à une procédure de remplacement d’un expert judiciaire peuvent être très différents ; c’est pourquoi chaque dossier doit impérativement être analysé en profondeur avec l’aide d’un avocat spécialisé. Nous sommes à votre disposition à cette fin et, si vous souhaitez en savoir plus, contactez Centrius au 064/707070 ou [email protected].
Me David BLONDEEL & Me Jonathan MEY
[1]Le remplacement n’est pas nécessairement une sanction judiciaire car il y a aussi des hypothèses où l’expert n’est physiquement/matériellement pas ou plus en mesure de mener sa mission à bien : maladie, décès, départ à l’étranger ou changement de profession (D. MOUGENOT, Manuel d’expertise judiciaire, Limal, Anthemis, 2016, p. 79).
[2] H. BOULARBAH, M. PHILIPPET & M STASSIN, « Etat actuel de la procédure civile d’expertise », in Théorie et pratique de l’expertise civile et pénale, coll. CUP, Bruxelles, Larcier, 2017, p. 92 ; TPI Bruxelles (1ère ch.), 20 septembre 2019, R.G.A.R., 2019, p. 15635.
[3] C. DE BOE, « De la récusation et du remplacement de l’expert », J.T., 2007, pp. 812 et s.
[4] Bruxelles (9e ch.), 8 avril 2004, Journ. proc., 2004, p. 24.
[5] Bruxelles, 13 mars 2002, Res Jur. Imm., 2002, p. 149.
[6] C. DE BOE, op. cit.
[7] Anvers (2e ch.), 30 novembre 2011, R.D.J.P., 2012, p. 177.
[8] Bruxelles (5Fe ch.), 28 juillet 2023, RG 2022/AR/768, inédit.