Une demande de résolution pour faute peut être définitivement fermée à un maître d’ouvrage trop pressé de se débarrasser de son prestataire, quand bien même ce sont des manquements imputables à ce dernier qui ont, dans les faits, fondé la résiliation.
Tel est l’enseignement rappelé par le Tribunal de l’entreprise du Hainaut dans une affaire récente en matière de construction, dont les faits se présentent comme suit.
Le 5 mars 2020, lors d’un d’une réunion sur chantier, un maitre d’ouvrage annonce de vive voix sa volonté de rompre sa collaboration avec son bureau d’étude, dès lors qu’il n’est manifestement pas satisfait de ses prestations.
Le jour-même, le bureau d’étude adresse le courriel suivant au maitre de l’ouvrage (nous soulignons) :
« Suite à notre entrevue de ce jour, je prends acte de votre souhait d’arrêter notre collaboration pour des raisons qui vous sont propres.
J’accepte cela. Comme discuté cette après-midi, je vous fais une proposition pour solder nos interventions sur votre chantier.
Sur les deux factures en annexe qui représente un montant H.T.V.A. de 30.000 euros, je vous concède une note de crédit de 25 pour cent soit 7.500 euros H.T.V.A.
(…)
En cas d’accord de votre part, je vous demande de payer l’incontestablement dû.
(…)
J’espère que cette proposition vous conviendra (…) ».
Le courriel étant laissé sans réponse, une mise en demeure de paiement est rapidement envoyée au maitre d’ouvrage par le bureau d’étude.
Le 17 avril 2020, le conseil du maitre d’ouvrage conteste la mise en demeure, en prétextant que les modalités de résiliation devaient encore être définies au regard des manquements imputables au bureau d’étude, sans toutefois que ceux-ci soient étayés de manière précise.
Le juge saisi de l’affaire en juin de la même année constate en synthèse que :
- il n’est pas démontré que le contrat ait pris fin de l’accord des parties (mutuus dissensus), dès lors que la proposition amiable formulée n’a jamais été acceptée par le maitre d’ouvrage (« En cas d’accord de votre part ») ;
- le maitre d’ouvrage ne prouve pas que son choix de rompre le contrat doit s’interpréter comme une résolution extrajudiciaire aux torts du bureau d’étude (1184 Code civil), en ce que, notamment :
- aucune mise en demeure, préalable à la notification de 5 mars 2020, étayant des manquements contractuels et enjoignant au bureau d’étude d’y remédier, n’est produite au dossier ;
- l’affirmation selon laquelle la volonté du maitre d’ouvrage de rompre le contrat, annoncée le jour même, reposait sur des motifs de convenance personnelle n’a pas été contestée in tempore non suspecto (« raisons qui vous sont propres ») ;
- le dossier produit par le maitre d’ouvrage ne permet pas de justifier l’existence de manquements « suffisamment graves ».
En l’absence de preuve que la décision de rupture du lien contractuel était motivée par des manquements contractuels graves dans le chef de l’entrepreneur, le juge a considéré que le maitre d’ouvrage a usé de la faculté de résiliation conformément à l’article 1794 du Code civil, soit pour convenance personnelle, etil l’a condamné au paiement des prestations accomplies et d’une indemnité couvrant le manque à gagner du bureau d’étude.
Cela étant, la décision aurait sans doute été tout autre si le maitre d’ouvrage était parvenu à rendre vraisemblables des manquements graves en produisant des pièces probantes, même pour la première fois au terme de la procédure.
Quoiqu’il en soit, ce jugement nous confirme à quel point il convient de rester prudent avant de rompre un contrat d’entreprise et de faire preuve d’une extrême diligence dans les échanges entre parties (surtout entre entreprises, comme en l’espèce).
En définitive, en cas de difficultés sur un chantier, veillez à consulter, en temps utile, un avocat spécialisé, qui pourra vous assister en vue de préparer un dossier bien ficelé et vous permettra ainsi d’éviter de fâcheuses conséquences, comme l’atteste à l’évidence la décision analysée ci-avant.
Me David BLONDEEL & Me Fabien SMETS