Lorsqu’une entreprise ou un investisseur acquiert des actions dans une société, il peut se poser la question de savoir s’il est tenu à une obligation de non-concurrence. Cette question est essentielle car elle peut affecter la liberté d’entreprendre et les projets futurs de l’actionnaire.
Les actionnaires sont-ils automatiquement soumis à une interdiction de concurrence ?
En principe, un actionnaire n'est pas soumise à une interdiction générale de concurrence, sauf si un engagement contractuel spécifique est inséré dans les statuts de la société ou dans une convention d’actionnaires.
Toutefois, selon le type de société et la participation de l’actionnaire, la situation peut varier.
En effet, certaines règles doivent être observées et la frontière entre la liberté d’entreprendre garantie à chacun
[1] et le devoir de loyauté qui s’impose à certains actionnaires est souvent ténue.
Distinction entre sociétés de capitaux et sociétés de personnes[2]
Sociétés de capitaux (SA, SRL & SC)
Dans ces structures, l’actionnaire est souvent un investisseur financier, sans implication directe dans la gestion. Il n’existe pas, en principe, d’interdiction légale de concurrence à sa charge, sauf disposition statutaire contraire.
Sociétés de personnes (SNC & société en commandite)
La personnalité des associés jouant un rôle clé, un associé actif dans la gestion peut être soumis à une obligation implicite de non-concurrence, fondée sur le principe de loyauté envers la société.
L’impact de l’apport sur l’obligation de non-concurrence[3]
Si un actionnaire a acquis ses actions en contrepartie de l’apport d’un fonds de commerce ou d’une clientèle, il peut être tenu à une obligation de non-concurrence, basée sur la garantie d’éviction, en vertu des articles 1626 à 1640 du Code civil. En effet, le vendeur d’un bien est censé garantir à l’acheteur la possession paisible de la chose vendue. En l’occurrence, il s’agit de prémunir le cessionnaire contre toute atteinte du cédant à l’exploitation de la clientèle et du fonds de commerce transmis.
De même, dans certaines formes sociétaires, telles que les SRL et les SC, un actionnaire ayant réalisé un apport en industrie (compétences, expertise, notoriété, réputation, réseau d’influence…)
[4] peut être juridiquement tenu de ne pas concurrencer la société car il effectuera, en sa faveur, des travaux et des prestations de services en échange d’actions
[5]. Dans cette hypothèse, la liberté d’entreprendre de l’actionnaire est limitée puisqu’il doit respecter l’article 1:9, § 2, 3° CSA : «
le débiteur d'un apport en industrie doit rendre compte à la société de tous les profits liés directement ou indirectement à l'activité qu'il a apportée. Il ne peut faire directement ou indirectement concurrence à la société pendant toute la durée de son apport, ni développer aucune activité qui serait de nature à nuire à la société ou à réduire la valeur de son apport.»
Si l’apporteur en industrie se voit donc explicitement interdire de concurrencer la société dont il est actionnaire, ce n’est pas le cas des autres actionnaires, qui acquièrent les actions en échange d’apports en numéraire ou d’apports en nature ordinaire. Ces derniers demeurent libres de concurrencer la société en exerçant une autre activité en parallèle.
La situation de l’actionnaire administrateur
Pour les actionnaires qui sont également administrateurs de la même société, la situation est différente.
En effet, bien qu’aucune disposition légale n’interdise expressément aux administrateurs de concurrencer leur société, un tel agissement se heurterait au principe de bonne foi auquel ils sont tenus et qui leur impose, notamment, de se montrer loyaux à l’égard de leur société.
Les administrateurs ne peuvent donc pas concurrencer activement leur société en constituant, par exemple, une société exerçant une activité concurrente à la première
[6].
Cependant, cette obligation est limitée puisqu’elle cesse dès l’instant où l’administrateur démissionne et il n’existe aucune étendue territoriale particulière concernant cette obligation implicite de non-concurrence.
Comment se protéger contractuellement ?
Puisque la plupart des actionnaires sont libres de concurrencer leur propre société et que, dans le cas des administrateurs, l’obligation de non-concurrence qui s’impose à eux n’est pas absolue, il est important de mettre en place des mécanismes aptes à protéger la société de la concurrence qui pourrait être exercée par ses propres actionnaires.
Pour éviter toute ambiguïté, en tant que fondateur d’une société, il est préférable de rédiger un pacte d’actionnaire clair intégrant une clause de non-concurrence de façon à circonscrire les obligations de chacun et préserver les intérêts économiques de la société, que les actionnaires soient administrateurs ou non, en prévoyant, par exemple, que cette obligation subsiste un certain temps après la cessation des fonctions de l’administrateur.
Une telle clause doit impérativement être rédigée par un professionnel du droit compte tenu des conditions de validité très strictes auxquelles elle doit répondre quant à son étendue territoriale, temporelle et matérielle, qui doit être rigoureusement déterminée.
Il est également important de prévoir que la nullité d’un élément de la clause n’affecte pas la validité de l’intégralité de celle-ci afin de préserver les intérêts de la société et de permettre à cette clause essentielle de continuer à produire ses effets. Le juge est en effet tenu, si la clause s’avère abusive, de modérer sa portée excessive pour la ramener à des proportions acceptables.
[7]
Enfin, il est également primordial de vérifier les conditions de sortie, en cas de cession d’actions, afin d’éviter toute contestation future.
Conclusion
Vous l’aurez compris : en tant qu’actionnaire, vous n’êtes pas automatiquement soumis à une interdiction de concurrence, mais certaines situations spécifiques peuvent limiter votre liberté d’entreprendre.
Il est essentiel d’analyser votre statut d’actionnaire, la structure de la société concernée et les éventuels engagements contractuels avant d’envisager toute activité concurrente.
Les règles relatives à la non-concurrence des actionnaires à l’égard de leur société étant fluctuantes, intégrer une clause de non-concurrence dans un pacte permet de les fixer. La rédaction précise d’un tel pacte peut prévenir les conflits et protéger les intérêts en jeu.
Nos avocats spécialisés en droit des sociétés se tiennent à votre entière disposition pour vous aider à intégrer ce genre de clause dans vos pactes et préserver les intérêts de votre société.
Me David BLONDEEL, Me Chiara RINALDI et Me Aymerick ROLAND
[1] Article II.3 du Code de droit économique.
[2] J. DEGRAUWE & al., 101 juridische vragen over concurrentie, Intersentia, 2016, pp. 62-63.
[3] J. DEGRAUWE & al.,
Ibidem.
[4] Art. 1:8, §2, al. 3 du Code des sociétés & des associations (CSA)
[5] J. DEGRAUWE & al.,
op. cit., pp. 62-63.
[6] I. BEELEN, L. VOSSEN & F. GOFFINET, La convention d’actionnaire dans les PME et le nouveau droit des sociétés – Conséquences pratiques pour vos conventions, nouvelles ou existantes, Larcier, Bruxelles, 2020, p. 140.
[7] Cass., 23 janvier 2015, C.13.0579.N.