28/05/2025

L’opposabilité des conditions générales : les clés pour sécuriser vos contrats

Dans le cadre de vos relations contractuelles, les conditions générales sont un outil fondamental pour encadrer les droits et obligations des parties, assurer la sécurité juridique et limiter les aléas. Pourtant, leur opposabilité n’est pas systématique. Pour être valides et applicables, les conditions générales doivent être correctement portées à la connaissance de votre cocontractant et acceptées par celui-ci. Une rigueur contractuelle s’impose, d’autant plus que la jurisprudence belge et le nouveau Code civil (Livre 5) fixent des exigences précises. Dans cet article, nous vous présentons les points essentiels à retenir pour sécuriser vos contrats, à la lumière de la jurisprudence récente, analysée par Me Julie MONT[1].

Conditions d’opposabilité des conditions générales au cocontractant

Selon l’article 5.23 du nouveau Code civil, pour que les conditions générales soient intégrées au contrat, il faut que l’autre partie en ait eu connaissance ou, à tout le moins, ait eu la possibilité raisonnable de les consulter, et qu’elle les ait acceptées – même tacitement. En cas de contradiction avec des clauses spécialement négociées, ces dernières priment. Lorsqu’une « battle of forms » survient, chaque partie invoquant ses propres conditions générales, le contrat est conclu, sauf si un refus explicite est rapidement formulé et hormis pour les clauses incompatibles, qui sont écartées.

La jurisprudence reste exigeante quant à la preuve de cette communication. Une simple mention des conditions générales dans un contrat ou un bon de commande est souvent insuffisante. Par exemple, la Cour de cassation rappelle que la référence à des conditions générales sans remise effective ne suffit pas, même si aucune réserve n’a été émise[2]. Il appartient à la partie qui s’en prévaut d’établir que l’autre partie a eu une possibilité réelle d’en prendre connaissance, qu’il s’agisse d’un document « papier » ou d’un lien hypertexte. La charge de la preuve repose sur l’auteur des conditions générales, notamment en matière d’assurance ou dans les relations avec les consommateurs.

La jurisprudence précise aussi que la simple disponibilité des conditions générales « sur demande » ne suffit pas[3]. Elles doivent être activement mises à disposition. En revanche, si elles figurent au verso d’une facture acceptée sans contestation et après paiement, les tribunaux peuvent juger qu’elles ont été valablement communiquées. S’agissant des conditions accessibles uniquement par lien hypertexte, la Cour de justice de l’Union européenne a admis qu’elles pouvaient être opposables dès lors que le contrat y fait explicitement référence et qu’elles sont accessibles, téléchargeables et imprimables, sans qu’il soit nécessaire de cocher une case spécifique[4].

D’autres facteurs influencent l’opposabilité des conditions générales. La langue de rédaction ne fait pas obstacle à leur validité si la partie avait la possibilité de les comprendre ou de demander une traduction. Dans le cadre d’une relation d’affaires suivie, il n’est pas requis de renvoyer systématiquement aux conditions générales si elles ont été acceptées lors de précédentes transactions. Toutefois, cette présomption d’acceptation ne s’applique que si leur communication initiale est démontrée.

Quant aux clauses de juridiction – permettant de choisir à l’avance le tribunal compétent – leur validité suppose également une acceptation claire et prouvée. La jurisprudence rappelle qu’elles doivent être expressément mentionnées dans le contrat ou dans un document accepté sans ambiguïté[5]. En cas de « battle of forms », si les clauses de juridiction diffèrent, les tribunaux peuvent écarter les deux et se fonder sur les règles de droit international privé pour désigner la juridiction compétente[6].

La portée des conditions générales

Les conditions générales peuvent, dans certaines circonstances, constituer un contrat-cadre si telle est la volonté des parties. Le tribunal de l’entreprise de Bruxelles a ainsi reconnu qu’un contrat-cadre pouvait être formé par les dispositions des conditions générales lorsque celles-ci expriment clairement l’intention des parties d’établir une relation d’affaires continue[7]. Dans l’affaire jugée, les conditions générales prévoyaient, notamment, que les missions confiées à un cabinet de recrutement étaient destinées à se poursuivre dans le temps, traduisant une relation contractuelle durable. Le tribunal a dès lors qualifié ces dispositions de contrat-cadre, applicable à chaque mission individuelle ultérieure en tant que contrat d’application.

Par ailleurs, en cas de contradiction entre les conditions générales et les conditions particulières, la jurisprudence et le droit positif convergent vers une hiérarchie claire donnant la primauté aux secondes. La Cour de cassation a confirmé cette position en validant un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles allant en ce sens[8]. Cette solution est désormais consacrée par l’article 5.23, alinéa 2, du Code civil, qui stipule que les conditions négociées, c’est-à-dire particulières, ont priorité sur les conditions générales. Cette règle vise à protéger l’autonomie de la volonté et la primauté des clauses spécifiquement convenues entre parties.

Conflit de conditions générales

En cas de conflit entre les conditions générales respectives des parties — situation épineuse connue sous le nom évoqué ci-dessous de « battle of forms » — les tribunaux ont adopté, sous l’ancien Code civil, plusieurs approches pour trancher la question de l'intégration contractuelle.

Lorsqu’un désaccord sur les conditions générales est apparu dès l’échange des offres, la cour d’appel de Bruxelles a jugé que le contrat pouvait néanmoins être valablement formé si la contradiction portait sur un élément accessoire[9]. Elle a alors appliqué la théorie de la knock-out rule, selon laquelle les clauses contradictoires s’annulent mutuellement et n’entrent pas dans le contrat, à moins que les parties ne conviennent expressément de certaines dispositions communes.

Dans une affaire déjà évoquée, le tribunal a constaté un désaccord sur les clauses de juridiction contenues dans les conditions générales respectives de l’acheteur et du vendeur. En l’absence d’accord sur ce point fondamental, le tribunal a conclu à l’incompétence du juge belge, faute de volonté concordante sur la juridiction compétente[10].

Une autre décision, dans un contexte similaire, a conduit le juge à écarter les deux clauses de juridiction en l’absence d’un contrat écrit signé renvoyant clairement aux conditions générales de l’une ou l’autre partie. Le tribunal a alors déterminé la juridiction compétente en fonction du lieu de fourniture des services contractuels, conformément aux règles générales de droit international privé[11].

Comme nous l’avons annoncé, cette problématique est désormais encadrée par l’article 5.23, alinéa 3, du Code civil, qui prévoit qu’en cas de contradiction entre conditions générales, le contrat est formé et chaque ensemble de conditions s’intègre dans le contrat, à l’exclusion des clauses incompatibles. Toutefois, la doctrine demeure partagée sur le champ d’application de cette règle : certains auteurs estiment qu’elle ne s’applique que si les conditions générales ont bien été intégrées au contrat tandis que d’autres considèrent qu’il suffit que l’offre et l’acceptation fassent référence à des conditions différentes pour que la règle opère.

Conclusions

Les conditions générales jouent un rôle essentiel dans de nombreux contrats, notamment lorsqu’elles contiennent des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité, des plafonds d’indemnisation, ou encore des clauses de juridiction ou d’arbitrage. Leur force obligatoire fait donc fréquemment l’objet de contentieux, d’autant plus dans un contexte marqué par l’évolution des pratiques contractuelles, comme la conclusion de contrats en ligne et la protection renforcée des consommateurs.

La Cour de cassation a précisé les conditions d’opposabilité des conditions générales, en insistant sur l’importance de la connaissance – ou, plus précisément, de la possibilité raisonnable pour le cocontractant d’en prendre connaissance. Il n’est ainsi plus nécessaire de prouver une connaissance effective, dès lors qu’il est établi que la partie concernée avait l’opportunité d’en avoir connaissance de manière raisonnable. Cette approche est désormais consacrée par le Livre 5 du Code civil.

Cependant, l’appréciation concrète de cette possibilité reste fortement dépendante des circonstances propres à chaque affaire. Elle est influencée par la dynamique de la formation du contrat, souvent marquée par l’échange de multiples documents contractuels pouvant se renvoyer mutuellement. Le déroulement d’un courant d’affaires entre les parties, sa régularité et la manière dont il s’est opéré jouent également un rôle central dans la reconnaissance de l’applicabilité des conditions générales.

Dès lors, l’analyse jurisprudentielle demeure un outil indispensable pour évaluer la validité, la portée ou l’application des conditions générales lorsqu’un litige survient, tant les faits de chaque espèce peuvent influer sur la solution retenue.

Notre cabinet est à votre disposition pour sécuriser vos pratiques contractuelles, rédiger vos conditions générales en conformité avec les exigences légales et veiller à leur opposabilité. N’hésitez pas à nous contacter (db@centrius.be – 0484/681.081 – 064/70.70.70 – www.centrius.be).

[1] J. MONT, « Les conditions générales : chronique de jurisprudence (2019-2024) », JT, 2025, pp. 309 et s.

[2] Cass., 1er ch., 22 décembre 2021, Bull. ass., 2023/3, n°424, p. 297 et Cass., 1ère ch., 22 décembre 2022, RG n° C.22.0082.F, https://juportal.be/ (20 janvier 2023), cités par J. MONT, op. cit., p. 310.

[3] Cass., 1er ch., 12 septembre 2019, RG n° C. 18.0480.N, www.juportal.be (3 octobre 2019), cité par J. MONT, ibidem.

[4] CJUE, 7ème ch., 24 novembre 2022, aff. C-358/21, Revue des procédures, n°6/2024, p. 71, cité par J. MONT, ibidem.

[5] Trib. entr. Gand, div. Courtrai, 31 août 2021, Revue@dipr.be 2022, p. 127. et Trib. entr. Hainaut, div. Tournai, 20 décembre 2021, R.D.C., 2022, p. 288. cité par J. MONT op. cit., p. 312 ; Trib. entr. Anvers, div. Hasselt,29 novembre 2021, Limburgs Rechtsleven, 2022, p. 158., cité par J. MONT, op. cit., p. 313.

[6] Bruxelles, 2e ch., 20 mai 2021, J.L.M.B., 2021/32, p. 1439.

[7] Trib. entr. Bruxelles, 17e ch., 19 janvier 2023, J.L.M.B., 2023, p. 1454, cité par J. MONT op. cit., p. 313.

[8] Cass., 1re ch., RG no C.18.0543.F, 18 octobre 2019, www.juportal.be (14 novembre 2019), cité par J. MONT op. cit., p. 313.

[9] Bruxelles, 2e ch., 20 mai 2021, J.L.M.B., 2021/32, p. 1439

[10] Trib. entr. Hainaut, div. Tournai, 20 décembre 2021, R.D.C., 2022/2, p. 288

[11] Trib. entr. Gand, div. Courtrai, 31 août 2021, Revue@dipr.be 2022, p. 127.

 

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