Le droit de rétractation, qui a déjà fait l’objet d’un article sur notre site, est un mécanisme crucial du Code de droit économique (CDE), développé au niveau européen, pour garantir un niveau élevé de protection des consommateurs (articles VI.45 et suivants).
Le 17 mai 2023, cette volonté de protéger les consommateurs – parties faibles – a été rappelée par la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’un nouvel arrêt n° C97/22[1]. Aux termes de cet arrêt, en cas de défaut d’information sur le droit de rétractation, le consommateur est exonéré de toute obligation de paiement s’il se rétracte d’un contrat de service, conclu hors établissement, qui a déjà été exécuté. Le professionnel doit dès lors assumer les coûts encourus en raison de l’exécution du contrat pendant le délai de rétractation.
Cette décision rappelle la très grande sévérité de cette législation envers les entrepreneurs. Il est essentiel pour tout entrepreneur de comprendre en quoi consiste ce droit et de s’y conformer scrupuleusement. Dans cet article, nous explorerons ce qu’est le droit de rétractation en Belgique et l’importance de s’y conformer en tant qu’entrepreneur sur base d’un exemple récent rencontré dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal de première instance d’Arlon[2].
Qu’est-ce que le droit de rétractation ?
Le droit de rétractation permet aux consommateurs démarchés « hors de l’établissement de l’entreprise » (par exemple, à leur domicile) de revenir sur leur décision d’achat et de retirer leur consentement, dans un délai de 14 jours après avoir reçu un produit ou signé un contrat de service, sans avoir à donner de motif, ni à payer de frais particulier[3].
L’article VI.67, § 1er du CDE stipule que « sans préjudice de l’article VI.73, le consommateur dispose d’un délai de 14 jours pour se rétracter d’un contrat hors établissement, sans avoir à motiver sa décision et sans encourir d’autres coûts que ceux prévus à l’article VI.70, § 1er, alinéa 2, et à l’article VI.71 (…) » (Nous soulignons)
Après restitution, les consommateurs peuvent demander un remboursement complet. L’article VI.70 prévoit, en effet, que « l’entreprise rembourse tous les paiements reçus de la part du consommateur, y compris, le cas échéant, les frais de livraison, sans retard excessif et en tout état de cause dans les quatorze jours suivant celui où elle est informée de la décision du consommateur de se rétracter du contrat conformément à l’article VI.69 (…) » (Nous soulignons).
Il existe pour les entreprises une obligation d’information du client consommateur quant à l’existence du droit de rétractation[4]. Le législateur les aide en mettant à leur disposition :
- un modèle[5] des informations à fournir pour respecter cette obligation d’information ;
- un modèle-type[6] de courrier à remplir par le client qui souhaite utiliser son droit de rétractation.
Si l’entreprise se réfère à ces documents, elle est présumée avoir rempli ses obligations d’information.[7]
Pourquoi est-il essentiel pour les entrepreneurs de s’y conformer ?
Comme le confirme notre pratique, notamment la décision du Tribunal de première instance d’Arlon commentée ci-dessous, des sanctions importantes peuvent être prononcées vis-à-vis de l’entreprise qui ne respecte pas cette obligation d’information.
Il s’agit d’un dossier assez classique :
- en juillet 2021, un maitre de l’ouvrage décide d’installer chez lui des panneaux solaires et signe pour cela un devis communiqué par l’entrepreneur de sa région ;
- l’installation se déroule bien, les panneaux sont mis en service par un organisme agréé et le maitre de l’ouvrage est content du résultat ;
- les relations se tendent lorsque le maitre de l’ouvrage refuse de payer la facture de solde, qu’il estime trop élevée ;
- en juillet 2022, soit un an après la pose des panneaux, afin d’échapper au paiement de ladite facture, le maitre de l’ouvrage fait usage de son droit de rétractation, par l’intermédiaire de son conseil, Me D. Blondeel.
Le conseil de l’entrepreneur tente de soulever que la volonté du maitre de l’ouvrage d’user du droit de rétractation constitue, en l’espèce, un abus de droit, de toute évidence contraire à la bonne foi, ce dernier agissant dans l’unique but de ne pas payer la facture du solde.
Le Tribunal répond avec la plus grande fermeté à cet argument en ces termes :
« C’est vainement que la partie demanderesse invoque la fonction modératrice de la bonne foi pour échapper aux obligations découlant de l’exercice par les défendeurs de leur droit de rétractation.
En effet, la bonne foi ne peut avoir pour effet de diminuer l’objectif recherché par la loi (transposant une directive européenne d’harmonisation des législations protectrices du consommateur) d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, à l’égard desquels l’information précontractuelle est d’une importante fondamentale.
Ainsi qu’il a été décidé par la Cour de justice européenne, « lorsque le professionnel concerné a omis de fournir à un consommateur cette information, ce professionnel doit assumer les coûts qu’il a encourus en raison de l’exécution du contrat de service conclu hors établissement pendant le délai de rétractation dont ce consommateur dispose, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive. Dans ces conditions, l’invocation du principe de proportionnalité des sanctions, énoncé au considérant 57 de ladite directive, pour échapper à de tels coûts ne saurait prospérer » (arrêt C97/22 du 17 mai 2023). » (Nous soulignons)
Le législateur ayant décidé d’assurer un niveau de protection élevé aux consommateurs, les conséquences d’une mauvaise rédaction des informations relatives au droit de rétractation peuvent s’avérer dévastatrices pour un prestataire professionnel, même dans des situations qu’il pourrait considérer, à tort ou à raison, comme injustes.
Ce dossier nous permet d’insister une fois de plus sur l’importance de conserver des conditions générales à jour et personnalisées, ce qui implique qu’elles soient rédigées ou relues par des avocats spécialisés tels que le cabinet Centrius, qui a déjà partagé son expérience sur ces sujets.
Me David BLONDEEL & Me Jonathan MEY
[1] CJUE, 17 mai 2023, C97/22 : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=273787&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=10769962 .
[2] Civ. Arlon, (8ème ch.), 12 septembre 2023, inédit.
[3] Les articles VI.45 à VI.53 du CDE concernent le droit de rétractation exercé dans le cadre des contrats à distance relatifs à des produits et des services non financiers.
[4] Article VI.64 CDE.
[5]Annexe 1 du CDE : https://economie.fgov.be/fr/themes/ventes/formes-de-vente/ventes-distance/ventes-distance-information-du
[6]Annexe 2 du CDE : https://economie.fgov.be/sites/default/files/Files/Ventes/Forms/Formulaire-de-retractation.pdf
[7] Article VI.64 §3 CDE